Chirurgienne esthétique de stars, elle « réparait » les gueules cassées.
Aujourd’hui, je vous adresse cette lettre un peu différente pour vous parler d’une femme que je trouve très inspirante.
Son nom est peu connu et pourtant, dans le domaine de l’esthétique et de la médecine on lui doit beaucoup.
De la chirurgie au féminisme, Suzanne Noël a marqué son temps.
Je vous laisse découvrir son histoire incroyable et saisissante… Qui témoigne d’un esprit volontariste, brillant et émancipé.
Bouleverser les codes
© Bibliothèque Marguerite Durand/Roger-Viollet
Suzanne Gros est née à Laon (Aisne) en 1878.
A 19 ans, elle épouse un dermatologue qui l’encourage à passer son baccalauréat et poursuivre ses études.
C’est la médecine qu’elle choisira.
Et comme vous devez vous en douter, à cette époque, c’est très rare… !
Mais cela ne l’empêche pas d’étudier avec brio, dans un environnement exclusivement masculin.
Au 19e siècle, une femme qui réussit et de surcroît une femme avec un bistouri est considérée comme “dangereuse”... mais elle persévère et excelle dans son domaine.
Des années plus tard, on la retrouve interne des hôpitaux de Paris.
“On peut imaginer la somme d’acharnement, de courage qui fut nécessaire pour braver les préjugés de l’époque”
Jeannine Jacquemin
Une fascination pour la reconstruction
En 1908, Suzanne est nommée externe des hôpitaux de Paris.
Elle travaille dans le cabinet d’un chirurgien maxillo-facial grâce auquel elle vit une expérience qui marque le début de sa vocation.
Elle l’observe “réparer” avec succès la joue d’une fillette, déformée par une cicatrice.
C’est à cette même période qu’elle rencontre son amant André Noël avec qui elle vit une véritable histoire d’amour.
A 30 ans, elle donne naissance à une petite fille… Qui de l’époux ou de l’amant est le père… ? Le mystère plane !
Suzanne continue ses études tout en assurant sa fonction de mère.
En 1912, elle devient interne des hôpitaux de Paris, alors âgée de 35 ans (elle arrive 4e à l’épreuve… une véritable performance !).
Elle se spécialise en chirurgie réparatrice et esthétique.
La grande comédienne Sarah Bernhardt sera sa première vraie cliente.
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© Popperfoto / Getty Images
“Réparer” les survivants de la Grande Guerre
© Anna Coleman Ladd, tous droits réservés
Aujourd’hui, lorsqu’on pense “chirurgie esthétique”, on peine à se détacher des dérives que l’on connaît…
On pense aussi, surtout, au culte de la beauté, au respect des diktats sociétaux, des canons esthétiques, des cases à cocher…
Et pourtant.. A ses débuts, la chirurgie esthétique, n’est pas ce à quoi vous pourriez penser…
La Grande Guerre éclate en 1914 et c’est là que Suzanne joue un rôle crucial.
Des milliers de soldats reviennent du front écorchés, abîmés, usés.
Les séquelles psychologiques et physiques sont désastreuses.
380 000 soldats mutilés. 15 000 touchés directement au visage.
Les suicides se comptent en milliers.
C’est terrifiant.
Comment réparer ces “monstres” que les éclats d’obus ont façonnés et que les tranchées ont brisés ?
Suzanne Noël continue de travailler aux côtés de son mentor, Morestin, et se met à “réparer” le visage de ceux qu’on appelle les “gueules cassées”.
Ce sont les grands oubliés de l’Etat (qui fête l’Armistice avec panache), les laissés-pour-compte, livrés en pâture à la détresse.
Le préjudice causé par la défiguration ne sera d’ailleurs véritablement reconnu qu’en 1924, des années après la fin de la guerre (avant ça, il n’est pas considéré comme une cause d’invalidité).
Otto Dix, Les joueurs de Skat, 1920,
Neue Nationalgalerie, Berlin
Suzanne Noël a des doigts de fée, elle manie les ossements, triture, reconstruit et rafistole.
Elle travaille dans la sueur, le sang et les larmes.
Dans ce qu’on peut lire à son sujet : elle n’a peur de rien.
Suzanne Noël comprend une chose : le physique et le psychique sont intimement liés.
En réparant les visages cassés, elle recolle aussi, un peu, quelques morceaux d’âme éparpillés et redonne espoir.
C’est dans cet acte fort que réside les prémices de la chirurgie esthétique.
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Soldat ayant perdu l’œil droit pendant la première guerre mondiale.
© Jacques Boyer/Roger-Viollet
Donner aux femmes l’opportunité de reprendre le pouvoir sur leur corps.
Après la Grande Guerre, Suzanne Noël pratique la chirurgie esthétique en ambulatoire.
Elle exécute majoritairement des “lissages” (ancêtre du lifting), sur des visages féminins et crée ses propres instruments de travail.
Suzanne Noël ne se repose pas sur ses acquis.
Elle ne cesse d’innover et de se perfectionner : du remodelage des fessiers en passant par la rhinoplastie. De nombreuses femmes lui demandent de l’aide.
Suzanne Noël perçoit la chirurgie réparatrice et esthétique comme un moyen de reprendre possession de son corps, de son image, de sa personnalité mais aussi de sa féminité.
Elle insiste auprès de ses clientes qu’il faut se faire belle pour soi et non pour l’autre, pour son propre plaisir et pas seulement parce qu’on nous l’impose.
Elle prône le droit de se choisir soi, de choisir son destin. Tant que cela permet de se sentir mieux dans sa peau.
Pour elle, la beauté est un capital et tout le monde devrait y avoir accès.
En ceci, la chirurgie esthétique est un véritable moyen d’émancipation et un espace de liberté pour la femme.
Mais surtout, elle a un rôle social à jouer, notamment sur un marché du travail où il règne des discriminations criantes à l’embauche envers les femmes.
Un engagement sans faille pour la cause des femmes.
Suzanne Noël va connaître des temps difficiles.
En 1918, elle perd son premier mari. Puis se remarie avec André Noël, son amant.
En 1922, sa fille meurt de la grippe espagnole.
André Noël sombre dans une profonde dépression et se suicide, sous ses yeux.
Son engagement pour la cause féminine donne un véritable sens à sa vie et l’empêche de sombrer.
En octobre 1924, Suzanne Noël fonde le premier club Soroptimist ¹ du continent européen, à Paris.
Elle s’engage corps et âme et fonde plus d’une dizaine de clubs en Europe, qui œuvrent pour la libération des femmes et la protection des plus jeunes.
Elle se chargera également de l’organisation internationale du réseau.
Malgré les critiques et les insultes.
Elle reste déterminée.
“On disait de moi que j’étais deux fois folle”
Suzanne Noël participe activement au mouvement des “Suffragettes” et revendique l’obtention du droit de vote pour les femmes.
Elle organise des manifestations et se bat pour l’indépendance financière des femmes.
Tout ce combat sera mené en parallèle de ses recherches en chirurgie esthétique.
Au service des résistants et des victimes
Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle sauve plus d’un destin en aidant des résistants à changer de visage pour échapper à la Gestapo.
A la Libération, elle aide à réparer les séquelles physiques des victimes de la déportation.
Après la Guerre, elle voyage à travers le monde pour diffuser et défendre ses idées : de la médecine esthétique et réparatrice à l’émancipation des femmes.
Elle meurt en 1954, après avoir dédié sa vie aux autres.
Dans un idéal, presque utopiste, elle n’avait probablement pas envisagé les dérives de son activité, qui répond souvent aujourd’hui à une quête névrotique et narcissique.
Mais elle avait sûrement l’espoir, secrètement, de pouvoir rendre tout simplement heureuses, celles qui s’y adonnaient à l’époque.
Et vous ? Connaissiez-vous Suzanne Noël ? Avez-vous aussi des figures qui vous inspirent ?
Je suis curieuse de découvrir leurs parcours et vos sources d’inspiration.
Sources :
¹ Soroptimist International (SI) est un réseau international de femmes au service des femmes. Le recrutement est exclusivement féminin. Ce réseau intervient dans la lutte en faveur des droits humains et du statut de la femme dans la société.
Etant Soroptimist, je vous remercie de mettre en lumière notre fondatrice des clubs Soroptimist en France 1924 Paris , puis en Europe
Depuis, nous sommes toutes dans le monde TOUJOURS » des femmes au service des femmes »
Merci au Dr Suzanne Noël ET MERCI à vous de la mettre à l’honneur
Bonjour !
Merci pour ce témoignage et ce partage.
Excellente journée,
L’équipe de Cellaire
Bonjour, son premier mari, Henry Pertat; sa fille unique Jacqueline est décédée le 6 janvier 1922; son 2nd mari, le Dr André Noël s’est noyé dans la Seine à Paris 1er, le 5 août 1924 (Pont au change et Quai de la Mégisserie). Merci pour cet article participant à son hommage et souvenir reconnaissant.
Bojour !
Et merci à vous pour ce retour !
Très belle journée,
L’équipe de Cellaire