Cette femme à la renommée mondiale est morte sans savoir qu’elle aurait autant de succès

Je voudrais vous raconter une histoire assez incroyable.

En 2007 à Chicago, John Maloof achète aux enchères, pour un montant de 400 dollars, une malle remplie de 30 000 photographies et d’appareils photos.

John est à la recherche de clichés pouvant illustrer un livre qu’il prépare sur la ville des vents.

Dans ces milliers de photos en noir et blanc vraisemblablement prises dans les années 50, 60 et 70, aucune ne lui sera utile pour son livre…

… mais ce qu’il découvre va néanmoins changer sa vie

Des portraits d’enfants qui jouent, qui pleurent, accrochés aux jambes de leur mère… Des couples plus ou moins vieux… Des bourgeoises, des clochards, des Noirs, des Blancs, des policiers, des ouvriers, des musiciens de rues [1] …

 

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Des centaines de visages, de scènes de rues, d’instants de vie saisis à la volée, avec une technique, une maîtrise et un regard digne des plus grands photographes.

Saisi par ces photos, John Maloof est alors convaincu qu’il a entre les mains une oeuvre unique.

Ne connaissant pas grand chose à la photo, il décide alors d’en poster certaines sur les réseaux sociaux, et demande aux gens ce qu’ils en pensent.

Les retours sont dithyrambiques !

“Superbe” 

“Tout simplement beau”

 “Cliché incroyable”  

 

C’est à ce moment-là, que John Maloof, âgé de 26 ans, décide tout faire pour retrouver l’auteur.e de ces photos et faire découvrir son travail au monde entier.

Dans l’année qui suit, il rachète presque tous les lots dispersés le jour de la vente aux enchères – soit entre 100 000 et 150 000 négatifs, 3 000 photos, des films, des cassettes audio…

Et se met à scanner les dizaines de pellicules en sa possession.

A la recherche de Vivian Maier

John Maloof ne sait que peu de choses.

Mais il découvre sur le dos d’une enveloppe le nom de Vivian Maier.

Et il sait aussi à quoi elle ressemble ; car dans ces montagnes de photographies, un visage revient sans cesse : celui d’une brune au cheveux court, portant très souvent un chapeau un peu ridicule, l’air sévère, un appareil photo posé contre son buste ventre.

L’artiste est là, cachée au milieu de ses propres photos…

 

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Comme vous pouvez le voir sur les photos ci-dessus Vivian Maier utilise un Rolleiflex. La mise au point sur cet appareil photo se fait sur le dessus et permet à la photographe de ne pas se faire repérer lorsqu’elle cadre ses sujets. Ainsi, ils ignoraient sans doute qu’ils étaient photographiés.

 

Premier réflexe de John Maloof, taper le nom de Vivian Maier sur Internet. Mais rien : pas une occurrence. 

Il veut faire quelque chose de ces photos et contacte alors des galeries et des musées, comme le MoMA à New York ou la Modern Tate Gallery à Londres pour organiser une exposition.

Mais ces derniers refusent estimant “qu’un tirage qui n’a pas été validé du vivant de l’artiste n’a pas de valeur”…

Cela ne va pas arrêter John pour autant.

En 2009, il tape de nouveau le nom de ­”Vivian Maier” dans sa barre de recherche.

Il trouve une réponse : un avis de décès paru dans un journal de Chicago. Vivian Maier est morte quelques jours plus tôt à 83 ans.

On peut lire dans cet avis de décès “Seconde mère de John, Lane et Matthew, cet esprit libre apporta une touche de magie dans leur vie et dans celle de tous ceux qui la connurent.”

Vivian Maier n’était donc pas une photographe professionnelle, ni une journaliste comme le pensait John, mais une nounou !

Une Mary Poppins solitaire

John Maloof est sans doute déçu en lisant cette nouvelle : il sait qu’il ne va jamais rencontrer la photographe.

Mais il va peut-être pouvoir remonter le fil de son histoire pour découvrir qui était cette femme au talent exceptionnel, et tenter de répondre à cette question qui l’obsède : pourquoi n’exposait-elle pas ses photos ?

Il parvient à entrer en contact avec la famille qui a publié l’avis de décès. Les 3 garçons se sont occupés de la vieille dame à la fin de sa vie, en louant pour elle un petit appartement près du lac Michigan.

Et ils sont aussi sur le point de vider un garde-meuble dans lequel s’entasse des dizaines de cartons appartenant à Vivian Maier.

John Maloof saute sur l’occasion, il espère trouver des indices pour en apprendre plus sur Vivian Maier.

Et il fait bien car Vivian Maier conserve tout, mais alors tout !

 

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Lettres et reçus de Vivian Maier – © 2020 Maloof Collection, Ltd. 

 

Des tickets de bus, des coupures de presses, des chapeaux, des cartes de visites, des chaussures, des reçus et un demi-siècle de correspondance.

Et d’autres négatifs, tirages et appareils photos.

Autant de pièces qui vont permettre à John Maloof de reconstituer peu à peu, la vie de Vivian Maier.

Obsédé, obstiné, passionné, John mène l’enquête – finalement, on se dit qu’il partage certaines caractéristiques avec son sujet.

 

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Ce que John Maloof apprend au fil de son enquête va lui donner envie de réaliser un documentaire intitulé “A la Recherche de Vivian Maier”.

Mais John Maloof ne va pas être en reste lorsqu’il interview le peu d’amis de Vivian Maier, car pour chaque réponse qu’il obtient, trois autres questions surgissent :

  • Vivian Maier avait-elle un mari, des enfants, une famille ?
  • D’où lui vient cet accent français dont tout le monde parle lorsqu’il la décrive ?
  • Était-elle une espionne comme elle aimait parfois le dire ? 
  • Pourquoi son nom de famille n’était jamais orthographié de la même façon ? 

Même flou, lorsque John demande aux enfants qu’elle a gardé comment était Vivian Maier. Certains enfants la décrivent comme tyrannique, d’autre excentrique.

Mais ils finissent tous par reconnaître qu’ils ne savaient rien d’elle.

Le brouillard autour de la nounou/photographe semble ne jamais se dissiper à mesure que John Maloof enquête.

Mais des photos vont aussi servir d’indices.

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En effet, John Maloof est persuadé que certaines photos ont été prises en France. Il y a un clocher d’église qui revient très souvent.

Obstiné (et obsédé), il se met à chercher ce clocher sur Internet, et ça finit par payer. Il s’agit d’une église située dans un village perdu dans les Alpes, à une vingtaine de kilo­mètres de Gap.

Vivian Maier désirait montrer son oeuvre

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C’est dans la commune de Saint-Julien-en-Champsaur, que John Maloof va retrouver la famille maternelle de Vivian Maier.

Ils ne sont pas très nombreux encore en vie, mais ils se souviennent de cette “cousine excentrique qui sillonnait la vallée à bicyclette, ses appareils photos pendus autour du cou.”

John Maloof apprend également que Vivian Maier s’est lié d’amitié avec Amédée Simon, un photographe de la région, à qui elle confie ses pellicules lorsqu’elle est en France.

On lui montre aussi une lettre, envoyée des États-Unis à Amédée Simon dans les années 1960. Vivian propose à son ami de tirer ses photos malgré la distance et elle lui écrit : « J’ai fait des piles de photos – quand je dis des piles, c’est vraiment des piles – et je pense qu’elles [ne] sont vraiment pas mal. » 

Amédée refuse, car il tient seul son magasin de photos et ne se sent pas capable d’assumer une telle charge de travail.

Vivian Maier était donc consciente de son talent, elle voulait montrer un jour ses photos.

Mais la situation financière précaire dans laquelle elle vivait ne lui a finalement pas permis de réaliser son rêve.

C’est donc seule entourée de ses pellicules et de ses coupures de presse, que Vivian Maier a rendu son dernier souffle.

Elle n’aura jamais su qu’elle est aujourd’hui comparé à Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau ou Diane Arbus, et que ses photos se vendent aujourd’hui entre 1800 et 5000 euros.

Finalement, même si le destin de Vivian Maier a pris une belle tournure après sa mort, cela ne m’empêche pas de rester ma faim…

Si vous souhaitez en savoir plus sur Vivian Maier, je ne peux que vous conseiller de regarder le documentaire intitulé “A la Recherche de Vivian Maier”, réalisé par John Maloof lui-même. Il répond à beaucoup de questions que vous vous posez sans doute.

Et pour aller encore plus loin : voici le site officiel de la collection Maloof sur lequel vous pourrez voir les photos de Vivian Maier et dans cet article vous pourrez en apprendre davantage sur cette excentrique nourrice.

J’ai découvert l’histoire de Vivian Maier il y a une dizaine d’années et elle n’a cessé de m’intriguer.

Dites-moi dans la partie commentaire si l’histoire de cette photographe anonyme vous a plu autant qu’à moi, et n’hésitez pas à partager les héroïnes ou héros (méconnus) qui vous inspirent.

 

[1] Vivian Maier est l’auteure de tous les clichés en noir et blanc que vous trouverez dans cette lettre. Ils appartiennent à la collection Maloof – © Maloof Collection, Ltd. All rights reserved

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